EHP à l’école : problèmes et solutions

Un tour d’horizon rapide

Après quelques articles dans lesquels j’ai présenté mon parcours et les valeurs qui m’animent, il est temps de rentrer dans le vif du sujet. L’article qui suit est une synthèse, une cartographie rapide des difficultés que les EHP peuvent rencontrer à l’école et des réponses qu’on peut y apporter. Le moins que l’on puisse dire est que ce programme mériterait d’être traité par de multiples articles : ils viendront dès que possible (un article plus récent revient plus précisément sur les difficultés scolaires, et j’ai récemment commencé une série d’articles sur les obstacles à la prise en charge du haut-potentiel à l’école). Il faudra donc m’excuser pour les simplifications auxquelles le format choisi me contraint. Je reste disponible pour des réponses plus précises à une situation spécifique. Bonne lecture !

Les textes et la réalité

C’est en 2002, avec le rapport Delaubier, que la question de la précocité intellectuelle fait sa grande entrée dans l’Éducation Nationale. Depuis, de nombreux textes et rapports (2003, 2007, 2009, 2012, 2013 …) rappellent l’importance de la question, souvent en l’associant à la problématique du handicap et des aménagements auxquels il donne droit. En 2019, un colloque sur la question a été accueilli à la Sorbonne et a été accompagné de la publication d’un vademecum de 32 pages.

Ces nombreuses démarches ne s’accompagnent malheureusement pas d’une prise de conscience générale sur les particularités et sur les besoins des EHP. Une grande majorité de professeurs et d’encadrants n’ont encore au mieux qu’une vague connaissance de la question, souvent glanée dans les médias, et parfois pleine de préjugés. Les quelques agents qui s’emparent de la question le font souvent pour des raisons personnelles, et doivent souvent se former hors de l’institution.

Travailler avec l’institution

L’inertie de l’institution est une autre difficulté récurrente. Même lorsque des démarches sont effectivement lancées, ce qui est déjà une victoire, la complexité des protocoles, les responsabilités multiples des acteurs, la difficulté à placer des dates et les simples délais de transmission peuvent entraîner des retards dramatiques. J’ai ainsi été appelé pour une première intervention auprès d’un jeune qui se trouvait en situation de quasi-décrochage en novembre de son année de Terminale ; les premières démarches avaient été initiées à la fin de son année de Seconde …

La priorité essentielle pour les jeunes à haut-potentiel et pour leur famille doit donc être de trouver au moins un relais fiable et (in)formé pour les accompagner dans leur démarche. Quel que soit son poste (professeur, personnel de direction, CPE, infirmière, psyEN, inspecteur …), ce relais doit pouvoir donner de l’écho aux demandes des familles et s’assurer qu’elles sont effectivement suivies d’effet. Une posture d’écoute, une certaine disponibilité et une connaissance préalable du sujet sont des signes qui permettent d’identifier ces précieux acteurs.

La capacité à instaurer et maintenir une communication sereine est également primordiale. Pour éviter des crispations qui ne peuvent que nuire au jeune, il est souhaitable de minimiser les tensions. L’énoncé de faits, le rappel aux textes et l’éventuel recours aux autorités supérieures tendent à fournir des bases de discussion solides. J’ai pu constater des erreurs en la matière aussi bien de la part de familles que de membres de l’institution.

Pour des conseils spécifiques sur ce sujet, vous pouvez vous reporter à cet article de rentrée (valable aussi tout au long de l’année !).

EHP en réussite et sous-performance

De manière générale, l’Éducation Nationale tend à ignorer les EHP qui ne rencontrent pas de difficultés particulières. Cette doctrine néglige la possibilité qu’un jeune qui ne va pas mal puisse toutefois aller mieux. Ce qui est plus grave, elle ignore l’apparition courante de difficultés en cours de scolarité (notamment au collège puis au lycée), obligeant à guérir ce que l’on pourrait prévenir.

Il ne faut évidemment pas réduire l’épanouissement d’un élève à ses résultats scolaires (surtout dans un système potentiellement inadapté). En y associant l’exploration de sujets d’intérêt, la gestion du stress et une sociabilité équilibrée, il est cependant évident que le bien-être à l’école passe par la pleine expression des capacités de chacun.

Les Anglo-saxons utilisent l’expression d’ « underachievers » pour désigner les EHP qui ne réussissent pas à la hauteur de leurs capacités. Ils y intègrent aussi bien les élèves en franc décrochage que ceux qui se contentent de résultats moyens obtenus sans efforts. Même si elle sent un peu le rendement de produits boursiers, l’expression « élève sous-performants » me semble en être la meilleure traduction, et c’est un concept que nous garderons à l’esprit.

Problèmes couramment rencontrés

L’ennui en classe est fréquemment cité. Même si l’idée crispe nombre de collègues, il est important d’y reconnaître un problème majeur, puisque l’exposition excessive à la répétition et au déjà-vu entraîne une perte de sens qui peut créer anxiété et désinvestissement. Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de distraire mais bien d’intéresser et de stimuler.

Les EHP peuvent également peiner à s’intégrer dans le cadre de la classe. Ils peuvent rechercher un lien exclusif avec l’adulte ou au contraire se montrer perturbateur. Cela peut se traduire par des difficultés à canaliser la prise de parole mais également par un rapport compliqué avec les pairs, l’EHP pouvant selon le contexte endosser le rôle d’amuseur ou se voir rejeté par ses camarades.

Plusieurs problèmes touchent directement au scolaire. Paradoxalement, les consignes et les attendus peuvent être mal compris (car pris littéralement ou perçus comme excessivement simples). Des facilités dans certains domaines peuvent dispenser l’élève d’acquérir des méthodes et des habitudes de travail qui lui font défaut par la suite. Enfin, un perfectionnisme poussé à l’extrême peut causer une forte anxiété et conduire certains élèves à refuser de rendre des travaux qui ne correspondraient pas à leur idéal.

Les troubles associés

Les caractéristiques propres au haut-potentiel sont parfois combinés à des troubles ou handicaps qui nécessitent leur propre prise en charge. Sans pouvoir examiner dans le détail chacun d’entre eux, relevons que les plus courants sont les troubles dys, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles anxieux ou dépressifs et les troubles du comportement.

La gestion des troubles associés au haut-potentiel présente deux gros problèmes. D’une part l’identification des uns ou des autres risque d’être brouillée, si les troubles empêchent l’expression du haut potentiel ou si celui-ci permet de compenser, et donc de cacher ceux-là. D’autre part, les réponses habituelles aux troubles ne sont pas toujours adaptées à la gestion du haut potentiel, et entraînent parfois une aggravation de la situation (c’est par exemple le cas des « équivalents tiers-temps » qui abrègent des évaluations en supprimant les exercices les plus stimulants …).

L’attribution des dossiers haut-potentiel aux services ASH de l’Éducation Nationale n’a de sens que si les experts des différents troubles coordonnent leurs réponses avec des experts du haut potentiel (ou s’ils bénéficient eux-mêmes d’une formation très solide sur le sujet).

Formaliser la prise en charge des EHP ?

En théorie, une réponse cohérente aux besoins particuliers d’un élève à haut potentiel peut se passer d’une formalisation officielle. Nombre de petits “trucs” peuvent être mis en place et produire des effets très positifs, notamment pour favoriser l’épanouissement des élèves à haut potentiel qui ne rencontrent pas (encore) de difficultés spécifiques.

Cette approche peut toutefois être insuffisante si l’élève rencontre des difficultés plus marquées, si tout ou partie de ses encadrants ne répondent pas à ses besoins (par méconnaissance ou mauvaise volonté), ou si l’élève lui-même ne se retrouve pas dans ce qui lui est proposé. Les deux outils disponibles sont le PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Éducative) et le PAP (Plan d’Accompagnement Personnalisé).

PPRE et PAP – les deux outils de référence

Le PPRE est un outil flexible qui permet de projeter des objectifs et de proposer des aménagements spécifiques. Il est proposé par l’équipe pédagogique mais doit associer l’élève et sa famille. Il est plus efficace quand il vise un ou deux objectifs prioritaires et est associé à des points d’étape et à des réévaluations régulières.

Le PAP est un outil plus cadré qui doit être associé à un avis médical. Il est mis en place en cas de difficultés scolaires durables liées à des troubles des apprentissages (nos fameux « troubles associés »).

Pour adapter intelligemment ces outils aux particularités des jeunes à haut potentiel, il faut garder plusieurs points importants à l’esprit. Il faut tout d’abord adopter une approche expérimentale, et mener une politique d’évaluation et de réajustement fréquents ; une adaptation qui ne fonctionne pas n’est pas un échec mais un pas supplémentaire vers le bon accompagnement. D’autre part, il est important de pratiquer le « donnant-donnant pédagogique » : il ne s’agit pas de tout exiger de l’équipe pédagogique ni de l’élève. Enfin, il est important de veiller au réalisme et à la bonne diffusion des décisions prises : une longue liste d’injonctions noyée parmi les mails de l’équipe pédagogique sera bien moins utile qu’un ou deux aménagements ciblés, praticables et bien diffusés.

Un éventail de solutions

De nombreuses solutions peuvent être proposées et testées pour aider les EHP à s’épanouir dans leur scolarité et à développer leurs talents. Il faut encourager l’emploi d’outils économiques tels qu’un petit carnet où l’élève peut noter ses idées intempestives pour en différer l’expression, ou un livre qu’il est autorisé à lire lorsqu’il a fini son travail … Pourvu que l’emploi de ces outils soit négocié, compris et encadré, les possibilités sont innombrables.

L’accélération est fréquemment utilisée et peut être très efficace. Elle ne se limite pas au saut de classe pur et dur mais peut prendre la forme d’emplois du temps aménagés en fonction des disciplines (les unes à un niveau, les autres à un autre). En élémentaire, les classes à plusieurs niveaux sont particulièrement propices à ce genre d’expériences. Pour que l’accélération fonctionne, elle doit obtenir l’accord de tous les acteurs mais surtout être anticipée et accompagnée : il ne s’agit pas d’une recette magique qui suffit à tout régler. Il ne faut pas hésiter à préparer un condensé des prérequis dont l’élève aura besoin lors de son arrivée dans un nouveau niveau pour faciliter la transition, ni à pratiquer des sauts de classe “à l’essai”.

L’enrichissement regroupe toutes les actions qui permettent d’approfondir et de développer les apprentissages d’un élève au-delà des attendus communs à tout son niveau. Là encore, les possibilités sont multiples, et peuvent aller de la mise à disposition de revues et de documents avancés à la mise en place de projets personnels au long cours. Attention, l’enrichissement n’est pas un gavage, et ne doit pas être réduit à des exercices supplémentaires de même type que ceux qui s’imposent à tous.

Le tutorat ou le mentorat par un adulte (où un camarade plus âgé) peuvent répondre à un certain nombre de besoins en permettant des échanges ouverts au sein du cercle scolaire. L’accompagnement par un adulte permet aussi un suivi approfondi y compris d’une année sur l’autre. Le mentor et son élève doivent être volontaires, et l’expérience sera d’autant plus riche et efficace que le mentor aura une bonne compréhension des caractéristiques du haut-potentiel.

Enfin, et malgré de nombreux préjugés, il ne faut pas négliger l’intérêt de regrouper les EHP au sein de classes identifiées (qui peuvent être fléchées pour des professeurs expérimentés), ou dans le cadre de clubs et d’activités périscolaires qui leur permettent de créer des liens avec des pairs, notamment en dehors de leur niveau.

Deux mises en garde

Je dois finir sur deux notes sensibles, mais nécessaires. Premièrement, le haut potentiel d’un élève ne peut pas autoriser tous les excès de comportement. À partir du moment où ses besoins sont identifiés et correctement pris en charge, où le cadre qui lui est donné est clair et bienveillant, il doit être capable de s’y adapter. À l’inverse, mon expérience m’a malheureusement donné à voir des professeurs ou encadrants dont la conduite était manifestement déplacée, voire franchement traumatisante. Les conséquences de ce genre de dysfonctionnements pouvant être décuplées sur un EHP, je ne peux que recommander une vigilance de tous les acteurs et une politique volontariste de l’institution pour faire disparaître de son sein les conduites condamnables.

En conclusion

La prise en charge du haut-potentiel à l’école se heurte à de nombreux obstacles, dans les mentalités comme dans les habitudes et les conditions pratiques de l’enseignement. Elle fait aussi l’objet d’un intérêt qui, s’il se manifeste lentement, permet d’espérer une amélioration progressive des choses. L’expérience m’a montré qu’il peut suffire de la rencontre entre un élève en difficulté et un adulte disposé à l’aider pour soulever des montagnes. Je sais aussi que ces rencontres sont souvent aussi riches pour l’un que pour l’autre. Je vous souhaite à tous de faire la vôtre.

Vous êtes uniques, mais vous n’êtes pas seuls.

Le Professeur O

Ressource utile : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/eleves_intellectuellement_precoces_/99/4/Module_formation_EIP_268994.pdf